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Mise en scène

Le Cid, une tragi-comédie
 

Au commencement une terrible malchance semble ruiner définitivement le destin de Rodrigue et Chimène. Un rebondissement inattendu change la donne et ouvre à nos héros un avenir riche de promesses. C’est une tragi-comédie ou une tragédie optimiste. Quand tout semble perdu l’inattendu arrive. Et Corneille est tombé d’emblée sur ce qui fait la recette des best-sellers : plus vertigineuse est la descente et plus enthousiasmante pour le public sera la remontée. Les amoureux qui semblaient perdus à jamais revoient le jour et le bout du tunnel. La chance qui s’était enfuie revient comme une vague. Rodrigue l’enfourche et  se laisse porter par elle jusqu’au sommet. De simple cavalier, il devient Capitaine et remplace auprès du Roi le père de Chimène. La loi de la cité qui paraissait inflexible, sous les feux croisés de la victoire et de la politique, commence doucement à mollir. Ainsi Rodrigue qui s’est lancé dans ce combat par désespoir va gagner sur tous les tableaux. Le Roi le couvre  d’honneur et travaille à lui rendre l’amour de Chimène.

 

Le heurt des egos dans le cercle du pouvoir.


La tragédie commence par le heurt des egos. Le Roi vient de nommer Don Diègue gouverneur de son fils, le Prince de Castille.  Don Gomès pense que ce poste lui revient et que Don Diègue est bien trop vieux pour le remplir. Il va le lui dire. Les paroles déplaisantes s’échangent et puis… un soufflet. Plusieurs mots insultants, un geste de trop et voila franchi le point de non-retour. La tragédie se met en marche et rien ne peut l’arrêter. La réconciliation est impossible : l’honneur doit être lavé dans le sang. A bien y réfléchir c’est une idée étrange : le sang n’est pas une lessive, pourtant tant d’hommes sont morts pour cette idée. Pour Rodrigue il est politiquement correct de défier le comte et de le provoquer en duel, de le tuer ou de mourir pour effacer la honte du soufflet. Pour un papou il est politiquement correct de dévorer son ennemi après l’avoir tué. Toutes les valeurs sociales qui ont cours à un moment donné dans une société donnée sont relatives et conditionnées par une histoire particulière.
Aujourd’hui le duel n’a plus cours, mais il est facile d’imaginer dans le cercle du pouvoir des nominations qui provoquent triomphe d’un coté, haine et ressentiments de l’autre. On pense au pouvoir politique, mais tous les pouvoirs se valent et les egos n’en finissent pas de se heurter. Les lois de la cité sont là d’abord pour réglementer le heurt des egos. La politique est là pour faire mieux que les lois. Et on peut imaginer que le Roi a fait une faute politique en annonçant en plein conseil la nomination de Don Diègue sans avoir sondé auparavant les sentiments de Don Gomés, sans avoir, comme on dit, préparé le terrain.

La passion amoureuse et les obstacles.


La passion se nourrit d’obstacles. Une fois le Comte tué par Rodrigue, les obstacles paraissent infranchissables, alors la passion devient extrême. Rodrigue vient demander à Chimène de lui prendre la vie, car ne pouvant vivre sans elle, il veut mourir par elle.  Au moment où elle demande au Roi la tête de Rodrigue ou à Don Sanche de tuer Rodrigue,  Chimène sait qu’elle ne pourra pas survivre à la mort de son amour. C’est comme si elle demandait au Roi ou à Don Sanche sa propre mort. Pour dire de quelqu’un qu’il a un préjugé favorable vis à vis d’un autre, on dit :  il le regarde « avec les yeux de Chimène », car jamais Chimène n’arrive à éprouver le moindre ressentiment contre Rodrigue, même si elle feint d’en avoir devant Don Diègue, le Roi et la Cour.
L’Infante aime en secret Rodrigue. Pour elle l’obstacle est la différence de statut social. Elle suit les rebondissements avec angoisse, car Rodrigue vainqueur et devenu Grand Capitaine aurait pu être un époux pour elle, mais elle sait qu’il est trop tard, que la place est prise.  Elle comprend que c’est son amour désespéré pour Chimène qui a mené Rodrigue à la victoire.

LE CID de Corneille

Deux jeunes gens s’aiment. La dispute de leurs pères les rend brusquement ennemis l’un de l’autre. 

Les sentiments amoureux peuvent-ils obéir à la loi de la cité? Rodrigue et Chimène s’infligent une violence telle que la mort  leur apparaît plus supportable que la vie. Pris dans la quadrature d’un cercle infernal : vivre sans amour, aimer sans honneur, périr pour l’honneur ou mourir d’amour, nos héros seront sauvés par une victoire militaire. Au pire moment de la tragédie la chance tourne, une victoire éclair et la gloire d’avoir sauvé son pays d’un envahisseur redouté ouvrent à Rodrigue tous les possibles. La politique fera le reste.

La presse en parle

Le Cid de Corneille, dépoussiéré par Colette Roumanoff, s’offre une nouvelle jeunesse.

La metteuse en scène a décortiqué tous les ressorts de la pièce. Résultat, tout en étant comme à son habitude fidèle au texte, elle donne de cette tragi-comédie une lecture tout à fait proche des problèmes d’aujourd’hui.
Isabelle Calabre

Distribution

La chance et la politique.


La chance de Rodrigue, c’est que les mores envahissent de nuit la ville, le soir même où il a tué le Comte. La chance c’est encore que Rodrigue trouve chez lui cinq cent partisans de Don Diègue prêts à en découdre. Rodrigue n’ayant plus rien à perdre se lance dans la bataille à corps perdu et, par chance, se révèle être un stratège rusé et un meneur d’hommes. « Nous partîmes cinq cent… » Son désespoir et son talent font de lui le grand Capitaine dont le roi ne peut plus se passer.
Le Roi, qui semble ignorer les sentiments de sa propre fille vis à vis de Rodrigue, propose à Chimène de devenir sa fille pour apaiser son courroux, courroux dont il n’est pas dupe. Le Roi cherche à protéger Rodrigue qui est son nouvel appui et travaille à lui rendre l’amour de Chimène. Il se conduit alors en fin politique. On peut se demander s’il n’a pas fait exprès d’annoncer la nomination de Don Diègue devant Don Gomès, pour le mettre en difficulté et se débarrasser de lui, car il le voyait peut être comme dangereux ayant trop de pouvoir ou trop de morgue. Ensuite si Don Diègue a pu en quelque heures réunir cinq cent partisans dans sa maison, il n’était pas si « has been » que Don Gomès voulait bien le dire.  Le choix du Roi était-il le bon ?
Rodrigue, au contraire du Comte, doit tout au Roi,  il est jeune et malléable. Pourtant ce n’est pas avec l’armée du Roi que Rodrigue a mené son combat. Le Roi a-t-il même une armée régulière? En tout cas il est pressé de valider l’action de Rodrigue qui lui a conservé son trône. Où serait le Roi de Castille si les mores avaient réussi leur expédition ? En le couvrant d’honneur, le Roi autorise Rodrigue à aimer Chimène. Et l’on voit comment les lois de la cité plient devant la politique et qu’en politique le succès justifie tout. Rodrigue a eu beaucoup de chance et en politique la chance est toujours une vertu.

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